Face à l’arrivée de technologies modernes d’exploitation des eaux souterraines plus propices à l’intensification culturale et aux initiatives privées sur de nouveaux espaces irrigués, le devenir des systèmes irrigués communautaires pose question. Dans cette thèse, nous proposons de renouveler le regard sur la façon dont les communautés d’irrigants s’emparent de la modernité, d’un côté pour renouveler leur système irrigué communautaire en adaptant les infrastructures et les institutions d’irrigation, et d’un autre côté, pour améliorer leur niveau de vie et leur statut social en saisissant les opportunités économiques de développer une agriculture de marché sur de nouveaux espaces irrigués. Ainsi, une lecture plus nuancée des transformations est possible pour décrire et analyser le renouveau des systèmes hydrauliques anciens sans oblitérer ni les continuités ni les ruptures qu’ils traversent, y compris quand cela concerne la juxtaposition de systèmes « traditionnels » et « modernes ». Ce travail s’est focalisé sur le territoire oasien de Sidi Okba dans le Sahara algérien. Ce territoire est intéressant pour notre étude par le fait que l’utilisation de technologies modernes d’exploitation des eaux souterraines profondes a contribué activement à transformer son système irrigué communautaire d’épandage de crue en deux espaces irrigués distincts : l’ancienne palmeraie où la communauté continue à irriguer collectivement et les extensions où l’agriculture se fait à partir de forages privés. Ce territoire est complexe par la mobilisation de plusieurs ressources en eau - lâchers et fuites du barrage, eaux souterraines des nappes phréatique et captive-, mais également par la juxtaposition de deux formes d’agriculture sahariennes. Pour dénouer l’écheveau de cette complexité, dans le temps et dans l’espace, avons développé un cadre d’analyse interdisciplinaire et multiscalaire. Ce cadre nous a permis de montrer, premièrement, les capacités de renouvellement agricole après l’effondrement du système irrigué communautaire d’épandage de crue. La communauté a su saisir les opportunités pour développer une agriculture de marché dans les nouveaux espaces irrigués tout en maintenant une organisation familiale héritée de l’agriculture oasienne traditionnelle. Deuxièmement, la mobilisation de l’eau souterraine profonde a permis d’éviter le déclin de l’ancienne palmeraie. Nous avons montré l’importance des adaptations des infrastructures d’irrigation en plus du façonnage des règles dans le renouvellement du système irrigué collectif. Troisièmement, notre analyse a montré comment l’irruption de technologies modernes de pompage et les opportunités socio-économiques dans les nouveaux espaces, ont infléchi, transformé et accéléré la recomposition des relations sociales dans le système irrigué communautaire de l’ancienne palmeraie. Quatrièmement, notre analyse a permis d’illustrer la continuité territoriale entre les deux espaces irrigués. Ainsi, les nouveaux espaces irrigués sont une creatio ex materia du système oasien traditionnel de Sidi Okba. À travers notre recherche, nous concluons qu’il est important de considérer les anciens et les nouveaux espaces irrigués comme un seul et même territoire hybride en reconnaissant à la fois la complexité territoriale, l’hybridité dans chaque espace, et les interactions existantes entre les systèmes traditionnels et modernes. Le cadre d’analyse développé dans cette thèse offre les outils nécessaires pour lire et comprendre le renouveau des systèmes irrigués communautaires pour faire face à des vulnérabilités climatiques, environnementales, écologiques et socio-économiques bien réelles.